1 fontaines traducteur de Virgile & Mr. le Batteux traducteur d'Horace ont défendu les traductions en profe. Mr. l'Abbé de l'ifle s'eft déclaré comme de raifon, pour les traductions en vers, & ne pouvant citer de modèle François dans un genre où il n'y en avoit aucun avant fon élégante traduction des Géorgiques, il a eu recours à la littérature Angloife, & il donne pour exemples l'Homere de Pope & le Virgile de Dryden, ce qui ne prouveroit rien pour nous. Quoiqu'il en foit de cette queftion, j'avoue que, fi j'en euffe eu le talent, j'euffe préféré de rendre en beaux vers françois la belle poéfie de Gray, plutôt que de la traduire en profe; mais on fait que les vers ne fouffrent point de médiocrité. On lit, on fupporte de la profe médiocre; il n'en eft pas ainfi des vers: ou ils font bons, ou ils ne font pas lifibles. Au refte, ce que je n'ai pu faire, peut-être quelqu'autre le fera & peut-être auffi que mon travail ne lui fera pas inutile. Peu de grands Poêtes ont confenti à déroger jufqu'au métier de traducteur, & l'on n'en fera point furpris, fi l'on confidère qu'à toutes les difficultés & à tous les dégouts, qu'oppofent à une traduction en vers la mesure & la rime, qui fe refusent fi fouvent à la fidélité de l'expreflion, fe joint un obftacle encore plus infurmontable: c'eft le génie même du poête. En effet fi, comme dit Horace, il a reçu du Ciel l'invention, l'enthoufiafme atque os magna fonaturum, comment eft-il poffible qu'il se rabaiffe à la fimple fonction d'écho? S'il y confent, il pourra peut-être furpaffer fon original, mais il ne le rendra pas; il fora mieux, il ne fera pas de même; ce fera un beau tableau, mais une reffemblance infidelle. Auffi les meilleures traductions en vers ne font-elles, dans toutes les langues, que des imitations plus ou moins libres. M'étant donc, fur toutes chofes, propofé pour but une fidélité ferupuleufe, j'ai du me décider pour la traduction en profe. Cependant une traduction en profe, telle que je la conçois, ne doit pas être une traduction profaïque; car la profe élevée a auffi fes hardieffes, fes figures, fes invertions, fon mouvement, & fon harmonie. A l'exception de la rime & de la régularité du métre, qui n'est pourtaut pas de l'effence de la poéfie puifque nous avons des vers irréguliers, je ne vois rien, qu'elle puiffe envier. Y a-t-il en effet de langage plus harmonieux, plus orné que celui de Fénélon dans fon Thélémaque, de Montefquieu dans fon temple de Gnide, de Buffon dans les tableaux de fon Hiftoire Naturelle? Si ce n'eft pas là de la belle poéfie, s'il y manque la rime, il faut convenir qu'en les lifant on n'eft pas tenté de la regréter. Je fuis bien loin, en citant ces grands modèles, de croire que je puiffe leur être comparé, je veux feulement prouver que le genre que j'ai choifi n'eft pas au deffous, des beautés poétiques & que fi ma traduction ne s'éleve pas juf qu'aux beautés de mon modèle, ce n'eft pas la faute du genre, mais la mienne. Si je n'ai fait que tracer péniblement fur la terre la route que Gray s'eft frayée légérement à travers les airs, j'ai dumoins tâché de ne jamais le perdre de vue; fi je n'ai pu l'imiter dans le vol fublime de fa poéfie, je me fuis efforcé de donner à la marche de ma profe, la nobleffe, la légéreté, le nombre & l'harmonie dont elle étoit fufceptible. La profe, quand elle eft ainfi cadencée, n'eft prefque rien autre chofe qu'une fuite de vers libres, fans rime ou de vers blancs. J'ai donc cherché à ferrer celle de ma traduction dans des méfures de fix, fept, huit, neuf, & dix tems. J'en ai même laiffé quelques unes de douze, lorfque j'ai cru que la pensée en étoit mieux rendue. Ce n'eft pourtant pas que j'aie toifé, pour ainfi dire, chaque membre de mes périodes pour les réduire à cette étendue précife; mais c'eft qu'on peut fans effort fuivre cette manière d'é crire, quand l'oreille eft harmonieufe & qu'elle fuit la route qu'indique la nature. Il me reste à juftifier l'Epigraphe que j'ai mife à la tête de cette traduction. Horace a dit: Nec verbum verbo curabis reddere, fidus J'ai dit le contraire, & malgré cela je n'ai pas eu la préfomption de contredire ce grand maître de critique & de goût. En effet, quoique ce paffage ait fouvent. été cité comme un précepte par lequel Horace profcrivoit la fervilité des traductions littérales, il eft vrai de dire que, dans cet endroit de fon Art Poétique, il n'eft pas queftion des traductions; il y parle des caractères dramatiques qu'un auteur met au théatre, en les empruntant de l'Épopée ; &, à ce fujet, il confeille à l'auteur dramatique de ne pas s'affujétir à une exactitude minutieuse, en rendant mot pour motfon modèle, comme feroit un fidele traducteur. Or, s'il étoit permis de fe |